Administration de médicaments : ne vous laissez pas distraire !
Pour du pratique, c’est du pratique ! La Haute Autorité de santé (HAS) a mis en ligne le 18 mars 2016 sur son site Internet un guide sur les interruptions de tâche (IT) lors de l’administration de médicaments, afin de limiter la survenue d’erreurs médicamenteuses. Une démarche à laquelle peuvent participer les pharmaciens comme référents en EHPAD ou qu’ils peuvent appliquer au sein même de leur officine, même si elle n’est pas le lieu de l’administration du médicament.
« L’IT est définie par l’arrêt inopiné, provisoire ou définitif d’une activité humaine. La raison est propre à l’opérateur ou, au contraire, lui est externe. L’IT induit une rupture dans le déroulement de l’activité, une perturbation de la concentration de l’opérateur ou une altération de la performance de l’acte. La réalisation éventuelle d’activités secondaires achève de contrarier la bonne marche de l’activité initiale », rappelle la HAS. Les sources d’IT sont multiples (appels téléphoniques, discussion, bruit, activité multitâches, etc.) souvent de courte durée et le plus souvent induites par des membres de l’équipe. Cela relève donc d’un fonctionnement normal auquel les professionnels se sont habitués !
La HAS propose de recourir à ses outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments. Ainsi fournit-elle un kit d’audit comprenant notamment une grille d’observation des IT au sein des établissements de soins et une fiche de débriefing en équipe. Le patient et son entourage sont sollicités, qui seront interrogés, selon la nature et l’urgence du besoin, sur leur manière de prévenir les équipes soignantes : en attendant qu’elles passent, en sonnant, en se déplaçant.
En pratique, du côté des équipes, il faudra identifier les causes, la localisation et la justification d’une IT. Concernant les étapes du processus d’administration des médicaments, il faut mettre en exergue les étapes critiques du processus, dont les tâches qui ne devraient pas être interrompues (calcul de dose par exemple).
Il faudra ainsi évaluer la charge de travail, les pics d’activité pour identifier les « zones horaires » à risque. Les professionnels doivent par ailleurs pouvoir refuser de se laisser interrompre. Il faut de plus d’interroger en équipe sur la notion d’urgence. Le patient et son entourage devront y être sensibilisés. Ainsi l’espace-temps dédié aux échanges de professionnels à professionnels ou avec le patient doit être réfléchi et aménagé. Les déplacements inutiles au cours desquels existe un risque de se faire interrompre doivent également être identifiés. Le téléphone est coupé momentanément et des alertes visuelles peuvent être mises en place comme afficher le début et la fin d’une tâche qui ne doit pas être interrompue. Le cas échéant, cela peut être symbolisé par le port de brassard ou de gilet signifiant. D’autres actions peuvent passer par la matérialisation d’une zone protégée : marquage au sol, cloisons transparentes et semi transparentes, fermeture de la salle de préparation des médicaments, parler à voix haute lors de la réalisation d’une tâche identifiée comme à risque. Et la personne qui interrompt doit aider le professionnel interrompu à reprendre sa tâche.
Prévention du risque médicamenteux : l’expérience toulousaine
La société française de gériatrie et de gérontologie (SFGG) a édité un Livre blanc sur la fragilité du sujet âgé qui sera diffusé à l’occasion de son 3ème congrès francophone sur l’évaluation de la fragilité du sujet âgé, organisé les 12 et 13 mars 2015 à Paris.
Dans ce document de référence de près de 200 pages qui couvre tous les aspects de cette problématique, un chapitre est intitulé « Fragilité et prescriptions médicamenteuses inappropriées ».
Ce document fait état des travaux menés au Gérontopôle de Toulouse. Une étude descriptive transversale a été menée auprès de patients admis en hôpital de jour et en situation de fragilité et de risque de dépendance entre janvier et avril 2014, à l’hôpital La Grave. Elle montre l’impact des prescriptions médicales potentiellement inappropriées chez ces patients, c’est-à-dire lorsque le rapport bénéfice/risque du médicament est défavorable.
L’analyse a porté sur les ordonnances de 229 patients. Le type d’intervention le plus fréquemment proposé par les pharmaciens hospitaliers spécialisés en gériatrie était la réévaluation d’indication de médicaments pour lequel l’indication n’était pas fondée, souligne le Livre blanc de la SFGG. Cette intervention concernait dans un tiers des cas la classe pharmacologique des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). « En effet, chez les sujets âgés, les IPP sont fréquemment prescrits au long cours, hors AMM et sans indication médicale valide », souligne le document.
Par ailleurs, la redondance pharmacologique la plus fréquente concernait la prescription concomitante de 2 diurétiques ou plus (pour 5,2 % des patients). Dans cette cohorte, 6 patients présentaient une contre-indication à l’usage d’un médicament et 3 au moins une interaction médicamenteuse majeure.
L’étude au Gérontopôle de Toulouse a montré qu’au moins une optimisation de l’ordonnance dans un but préventif et/ou de réversibilité de la fragilité était possible pour près de 71 % des patients. Actuellement, rappelle la SFGG, sans analyse pharmaceutique systématique, le tiers des patients hospitalisés à la plateforme Fragilité du CHU de Toulouse bénéficient de proposition de changement de prise en charge thérapeutique. En 2015, le centre hospitalier va évaluer l’intérêt d’une telle analyse au sein de cette plateforme. Des propositions d’optimisation thérapeutique seront transmises par courrier, après concertation avec les gériatres, aux médecins traitants. Ces derniers en tiendront-ils compte ? Une étude prospective permettra de l’évaluer.