Seniors : l’activité sexuelle n’a que des bénéfices
Le pianiste américain Arthur Rubinstein est décédé en 1982 à l’âge de 95 ans. Dans ses dernières années, il avait moins de dextérité pour jouer. « Je m’entraîne chaque jour sur un répertoire qui s’est restreint. Je ne suis plus aussi rapide alors je marque des temps d’arrêt, je joue davantage avec les émotions », expliquait-il. Cette expérience d’homme de génie vieillissant, le Dr Marie-Hélène Colson la rapproche de la vie affective et sexuelle des seniors. « Elle est toujours là, mais elle s’adapte. De nouvelles ressources la rendent plus forte qu’elle ne pouvait l’être », a développé ce médecin sexologue lors du 12e colloque Approches non médicamenteuses le 14 novembre à Paris. A propos des personnes âgées, les croyances populaires peuvent se résumer ainsi : elles n’ont pas de désirs sexuels, elles ne sont pas attirantes donc pas désirables, leur pratique sexuelle peut être douloureuse…
L’orgasme ou le sentiment d’exister
Selon le Dr Colson, avoir un corps vieux ou malade en même temps qu’une vie sexuelle c’est préserver un sentiment de normalité alors que sous bien d’autres aspects la vie est bouleversée. « Parmi les mouvements réparateurs, l’orgasme est certainement le meilleur reconstituant du sentiment d’exister, en particulier quand il s’agit de compenser un certain déficit corporel », explique la sexologue. Dans ce contexte, conserver des rapports sexuels fréquents permettrait d’augmenter l’espérance de vie et de maintien en bonne santé principalement chez les sujets âgés ou souffrant de pathologies chroniques. Ce serait aussi un facteur d’amélioration de pathologies sous-jacentes : diabète, troubles du bas appareil urinaire, cancers, etc. Au plan physique, pratiquer une activité sexuelle, c’est déclencher la sécrétion de nombreuses hormones participant à l’équilibre et au bien-être : lutte contre le stress et la dépression (dopamine et ocytocine), stimulants (adrénaline et cortisol), euphorisants et relaxants (endorphines et ocytocine), sommeil (mélatonine), antidouleur (endorphines, ocytocine, mélatonine), renforcement de l’immunité (DHEA, ocytocine)…
Aborder le sujet et rassurer
Les professionnels de santé peuvent s’impliquer dans cette préservation de l’équilibre physique et psychique du patient. Nul besoin d’être sexologue ou psychologue. Tout d’abord, ne pas sous-estimer l’importance du simple fait d’aborder cette question. Puis il faut être en capacité d’aborder le sujet librement, en adaptant son discours et, lorsque l’on sent son adhésion, en faisant comprendre à son interlocuteur qu’avec l’âge, la sexualité peut se vivre différemment, en mettant l’accent sur un partage affectif, les caresses, la sensualité. « Il peut y avoir orgasme sans érection, pénétration, ni même éjaculation », indique le Dr Colson. Il faut savoir expliquer les répercussions de la maladie sur la sexualité. Et préciser que dans de nombreux cas, les troubles sexuels ne sont pas définitifs et peuvent être dépassés s’ils sont traités avec patience et persévérance.
Par Matthieu Vandendriessche, consultant & formateur en gérontologie, docteur en pharmacie
EN BREF
- Maintenue chez la personne âgée, la sexualité peut prendre une dimension plus affective que physique. Elle est un facteur favorable à l’espérance de vie, par une amélioration de l’estime de soi, de la confiance en soi, du bien-être et de l’équilibre.
- Les professionnels de santé ne doivent pas négliger l’impact positif sur le patient de l’évocation de ce sujet et de la suggestion de maintenir une vie sexuelle malgré l’âge et/ou la maladie.
Consultation « grand âge et autonomie » : des propositions décoiffantes !
Avez-vous participé à la consultation publique « Comment mieux prendre soin de nos aînés ? » lancée par le ministère des Solidarités et de la Santé début octobre ? Si oui, c’est parfait ! Si non, vous avez jusqu’au 10 décembre pour alimenter la réflexion sur la future loi sur le grand âge en déposant en ligne vos propositions et en évaluant celles des autres. Parmi ces contributions, certaines sont audacieuses et souvent frappées au coin du bon sens.
Plusieurs internautes suggèrent ainsi que les EHPAD concernés se remettent en cause pour devenir des « lieux de vie et d’envies ». Plus agréables et accueillants pour les résidents (qui s’y font encore trop souvent voler leurs effets personnels, dixit un contributeur) et aussi pour les familles, qui viendraient donc les visiter plus volontiers. Côté salariés, les revendications sur le bien-être professionnel ou les conditions de rémunération, autant que le souci de limiter la maltraitance liée aux cadences de travail alimentent les contributions les plus récurrentes. L’une d’elle avance un ratio de 6 résidents par aide-soignant.
L’accent est mis aussi sur l’ouverture des EHPAD à la mixité intergénérationnelle. Une partie du service civique pourrait s’y dérouler. Et si en ville la colocation entre personnes âgées et jeunes adultes pourrait se développer, pourquoi ne pas installer une crèche au sein ou à proximité d’un EHPAD ? Des établissements de petite taille pourraient être installés dans l’enceinte d’immeubles habités, d’autres dans le bâtiment de collèges voués à la fermeture en milieu rural.
Plusieurs internautes ont les EHPAD à but lucratif dans le collimateur : il faudrait tout simplement les fermer ou, au moins, limiter les revenus boursiers qu’ils engendrent et contrôler de manière inopinée la qualité des services et les conditions de travail. De manière plus générale, il faut mettre en adéquation pension de retraite et coût de la maison de retraite.
Autres idées suggérées : l’incitation au bénévolat des chômeurs de plus de 60 ans au sein des EHPAD par une attribution de points de retraite et l’ouverture d’accueils de nuit dans les établissements pour limiter les gardes de nuit à domicile, très onéreuses. Par ailleurs, il est suggéré que le dossier de suivi médical du résident puisse être accessible par ses proches via le web.
Il faut se préparer à l’entrée en EHPAD, propose un contributeur, en le découvrant en amont, pour un passage en douceur depuis le domicile. Des solutions d’habitats intermédiaires entre son « chez soi » et l’EHPAD devraient pouvoir exister.
Plus globalement, l’entrée dans le grand âge est un période de vie qu’il faut anticiper par la formation et l’information. « Avant 70 ans, chacun devrait se positionner selon ses envies et ses désirs », indique un internaute. Et il ne faudrait pas toujours envisager la vieillesse sous le prisme des problèmes qui lui sont rattachés. Ceci s’applique aussi aux professionnels encadrants, avec une mention spéciale pour « le personnel administratif et des services publics qui doit bannir son attitude de mépris ou d’indifférence vis-à-vis des personnes âgées » et pour certains professionnels de santé touchés par l’âgisme. Des professionnels de santé qui, plus globalement, doivent travailler davantage en coordination les uns avec les autres afin de ne plus être perçus comme « de passage ». Un internaute demande, sans autre précision, de stopper la « maltraitance médicale ». Un autre estime qu’il faudrait développer le déplacement au domicile des professionnels de santé « ambulants », tels que dentistes ou opticiens.
Concernant la mobilité des personnes âgées, il est suggéré que des agents municipaux les accompagnent chez le coiffeur (proposition certainement la plus décoiffante !) ou même au cimetière. Selon une autre contribution, elles devraient pouvoir se déplacer sans avoir à conduire : « des solutions nouvelles de transport devraient être créées ». Peut-être une option de BlaBlaCar pour passagers âgés ultra-bavards ?
Matthieu Vandendriessche, docteur en pharmacie, consultant en gérontologie
L’Etranger d’Albert Camus et la mère abandonnée
Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. (suite…)
La salle des lamentations, déroutante et peu connue des EHPAD
Un espace de totale liberté où tout peut être dit sans être répété, où retentissent des cris, des insultes, des pleurs : la salle des lamentations est encore très peu connue et implantée en France au sein des EHPAD. (suite…)
Proust et la vieillesse en toute fin de la Recherche (3/3)
L’été ne joue pas les prolongations ! Reste la lecture pour contourner les premiers effets de la rentrée… Invitée de gerontofficine.com, Laurence Grenier, ex-pharmacienne éprise de l’œuvre de Marcel Proust, « A la recherche du temps perdu », a sélectionné la toute fin du roman pour évoquer la vieillesse et le ressenti du temps qui s’est écoulé :
« J’éprouvais un sentiment de fatigue profonde à sentir que tout ce temps si long non seulement avait sans une interruption été vécu, pensé, sécrété par moi, qu’il était ma vie, qu’il était moi-même, mais encore que j’avais à toute minute à le maintenir attaché à moi, qu’il me supportait, que j’étais juché à son sommet vertigineux, que je ne pouvais me mouvoir sans le déplacer avec moi.
La date à laquelle j’entendais le bruit de la sonnette du jardin de Combray, si distant et pourtant intérieur, était un point de repère dans cette dimension énorme que je ne savais pas avoir. J’avais le vertige de voir au-dessous de moi et en moi pourtant, comme si j’avais des lieues de hauteur, tant d’années.
Je venais de comprendre pourquoi le duc de Guermantes, dont j’avais admiré, en le regardant assis sur une chaise, combien il avait peu vieilli bien qu’il eût tellement plus d’années que moi au-dessous de lui, dès qu’il s’était levé et avait voulu se tenir debout, avait vacillé sur des jambes flageolantes comme celles de ces vieux archevêques sur lesquels il n’y a de solide que leur croix métallique et vers lesquels s’empressent les jeunes séminaristes, et ne s’était avancé qu’en tremblant comme une feuille sur le sommet peu praticable de quatre-vingt-trois années, comme si les hommes étaient juchés sur de vivantes échasses grandissant sans cesse, parfois plus hautes que des clochers, finissant par leur rendre la marche difficile et périlleuse, et d’où tout d’un coup ils tombent. Je m’effrayais que les miennes fussent déjà si hautes sous mes pas, il ne me semblait pas que j’aurais encore la force de maintenir longtemps attaché à moi ce passé qui descendait déjà si loin, et que je portais si douloureusement en moi ! Si du moins il m’était laissé assez de temps pour accomplir mon œuvre, je ne manquerais pas de la marquer au sceau de ce Temps dont l’idée s’imposait à moi avec tant de force aujourd’hui, et j’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux, comme occupant dans le Temps une place autrement considérable que celle si restreinte qui leur est réservée dans l’espace, une place, au contraire, prolongée sans mesure, puisqu’ils touchent simultanément, comme des géants, plongés dans les années, à des époques vécues par eux, si distantes – entre lesquelles tant de jours sont venus se placer – dans le Temps.»
Proust grinçant sur le vieillissement féminin (2/3)
C’est l’été et le plaisir retrouvé du temps de la lecture ! Laurence Grenier, ex-pharmacienne, est éprise de l’œuvre de Marcel Proust, « A la recherche du temps perdu », au point de pouvoir retrouver en quelques instants un passage évoquant la nature, la médecine ou la maladie… et les grands sujets de l’existence, comme toutes ces minuscules sensations qu’il nous reste à découvrir. Invitée du blog gerontofficine, elle livre aujourd’hui cette évocation de la beauté féminine en fuite extraite du Temps retrouvé :
Les femmes tâchaient à rester en contact avec ce qui avait été le plus individuel de leur charme, mais souvent la matière nouvelle de leur visage ne s’y prêtait plus. Les traits où s’était gravée sinon la jeunesse du moins la beauté ayant disparu chez la plupart d’entre elles, elles avaient alors cherché si, avec le visage qui leur restait, on ne pouvait s’en faire une autre. Déplaçant le centre, sinon de gravité du moins de perspective de leur visage, en composant les traits autour de lui suivant un autre caractère, elles commençaient à cinquante ans une nouvelle sorte de beauté, comme on prend sur le tard un nouveau métier, ou comme à une terre qui ne vaut plus rien pour la vigne on fait produire des betteraves (…).
Laurence Grenier est notamment l’auteur d’une édition abrégée de La Recherche (500 pages au lieu de 3 000 !). On peut la retrouver sur son blog proustpourtous
Comment Proust décrivait la vieillesse (1/3)
Bientôt l’été et le plaisir retrouvé du temps de la lecture ! Laurence Grenier, ex-pharmacienne, est éprise de l’œuvre de Marcel Proust, « A la recherche du temps perdu », au point de pouvoir retrouver en quelques instants un passage évoquant la nature, la médecine ou la maladie… et les grands sujets de l’existence, comme toutes ces minuscules sensations qu’il nous reste à découvrir. Invitée du blog gerontofficine, elle livre aujourd’hui à travers le personnage de Tante Léonie une description pudique de la vieillesse, extraite de Du côté de chez Swann :
« Léonie, dit mon grand-père en rentrant, j’aurais voulu t’avoir avec nous tantôt. Tu ne reconnaîtrais pas Tansonville. Si j’avais osé, je t’aurais coupé une branche de ces épines roses que tu aimais tant. » Mon grand-père racontait ainsi notre promenade à ma tante Léonie, soit pour la distraire, soit qu’on n’eût pas perdu tout espoir d’arriver à la faire sortir. Or elle aimait beaucoup autrefois cette propriété, et d’ailleurs les visites de Swann avaient été les dernières qu’elle avait reçues, alors qu’elle fermait déjà sa porte à tout le monde. Et de même que, quand il venait maintenant prendre de ses nouvelles (elle était la seule personne de chez nous qu’il demandât encore à voir), elle lui faisait répondre qu’elle était fatiguée, mais qu’elle le laisserait entrer la prochaine fois, de même elle dit ce soir-là : « Oui, un jour qu’il fera beau, j’irai en voiture jusqu’à la porte du parc. »
C’est sincèrement qu’elle le disait. Elle eût aimé revoir Swann et Tansonville ; mais le désir qu’elle en avait suffisait à ce qui lui restait de forces ; sa réalisation les eût excédées. Quelquefois le beau temps lui rendait un peu de vigueur, elle se levait, s’habillait ; la fatigue commençait avant qu’elle fût passée dans l’autre chambre et elle réclamait son lit. Ce qui avait commencé pour elle – plus tôt seulement que cela n’arrive d’habitude – c’est ce grand renoncement de la vieillesse qui se prépare à la mort, s’enveloppe dans sa chrysalide, et qu’on peut observer, à la fin des vies qui se prolongent tard, même entre les anciens amants qui se sont le plus aimés, entre les amis unis par les liens les plus spirituels, et qui, à partir d’une certaine année cessent de faire le voyage ou la sortie nécessaire pour se voir, cessent de s’écrire et savent qu’ils ne communiqueront plus en ce monde.
Ma tante devait parfaitement savoir qu’elle ne reverrait pas Swann, qu’elle ne quitterait plus jamais la maison, mais cette réclusion définitive devait lui être rendue assez aisée pour la raison même qui, selon nous, aurait dû la lui rendre plus douloureuse : c’est que cette réclusion lui était imposée par la diminution qu’elle pouvait constater chaque jour dans ses forces, et qui, en faisant de chaque action, de chaque mouvement, une fatigue, sinon une souffrance, donnait pour elle à l’inaction, à l’isolement, au silence, la douceur réparatrice et bénie du repos(…).
Laurence Grenier est notamment l’auteur d’une édition abrégée de La Recherche (500 pages au lieu de 3 000 !). On peut la retrouver sur son blog proustpourtous et en ce moment au théâtre Pandora (11e arrondissement de Paris), seule en scène, dans Duetto Marcel Proust.
Dépendance : les idées chocs made in Japan
« Bien vieillir en France en s’inspirant du Japon ». C’est le thème de l’étude sur la dépendance des seniors rendue publique le 30 mai par les laboratoires japonais présents en France (LAJAPF). Créée en 2010, cette association regroupant huit entreprises pharmaceutiques japonaises installées dans l’Hexagone a formulé plusieurs propositions pour améliorer la qualité de vie des seniors et personnes dépendantes et pour soutenir le financement de l’autonomie en France. (suite…)