Que les pharmaciens puissent prescrire sous conditions ou qu’ils soient désormais habiliter à vacciner, cela n’est pas du goût des syndicats de médecins et d’un certain nombre de praticiens eux-mêmes. Pour leur part, les bilans de médication pour patients âgés en pharmacie, lancés au premier trimestre 2018, ne semblent plus soulever de réticences. De ces bilans de médication, il a été question au Congrès national des pharmaciens, organisé à Strasbourg les 20 et 21 octobre. D’abord pour le petit nombre des bilans réalisés : 15 000 au 20 octobre sur un objectif attendu de 200 000 en première année. Présent au congrès, le directeur général de l’Assurance maladie, Nicolas Revel, a ainsi exprimé sa « préoccupation » quant au déploiement du dispositif. Très nombreux à s’être formés sur ce sujet, les pharmaciens peuvent encore inverser la tendance d’ici à la fin de l’année.
Polymédication cumulative
Mais qu’en est-il de leur acceptation par les médecins traitants ? De manière générale, ils se montrent satisfaits, ou sont au pire indifférents, concernant ce nouveau suivi à l’officine. Il faut dire que l’heure n’est plus à la susceptibilité interprofessionnelle : il faut mieux gérer le risque iatrogénique, favoriser l’observance et éviter toute prescription inutile, 40 % des personnes de plus de 75 ans étant fortement polymédiquées. « Elles cumulent en moyenne dix médicaments ou plus sur trois mois et le tiers d’entre elles prennent plus de dix médicaments de manière continue », rappelle Danièle Roquier-Charles, pharmacien et coordinatrice scientifique de la formation proposée par l’Utip lors du congrès. Chaque nouvelle spécialité administrée augmente de 12 à 18 % le risque d’effet indésirable. Au final, un risque iatrogénique majeur menace le quart des patients de plus de 85 ans, rappelle Muriel Rainfray, gériatre à Bordeaux.
Une représentation subjective de la maladie
De plus, selon une étude de 2010, 57 % des 65-74 ans ne sont pas totalement observants, c’est même le cas pour 70 % des personnes de plus de 75 ans. « Le défaut d’observance augmente avec l’âge, explique la gériatre. Parmi les obstacles les plus fréquents à l’observance, il y a la manière dont le patient se représente la maladie, qui est différente de celle des professionnels de santé ». Ce qui ne se perçoit pas forcément au comptoir, indique Philippe Gaertner, titulaire d’officine et président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), coorganisatrice du congrès : « Les patients ne partagent pas cette représentation avec le médecin ou le pharmacien, ils ne leur en parlent pas. Et pour ne pas avoir à s’expliquer, ils viennent chercher les traitements mais ne les prennent pas. » Le bilan de médication peut être l’occasion pour le patient de s’exprimer sur l’origine de son inobservance.
Obstacles à l’observance
Par ailleurs, pointe Muriel Rainfray, l’appréciation de la santé subjective est très importante en gériatrie. « Ce qui fait qu’une personne âgée qui a une perception médiocre de son propre état de santé vivra statistiquement moins longtemps. » Autres facteurs limitant l’observance potentiellement évoqués lors du bilan, une forme galénique inadaptée (taille des comprimés, difficulté à s’auto-administrer un collyre, goût d’une spécialité, difficultés à compter les gouttes à avaler) ou inadéquate (si deux comprimés différents sont quasi identiques par exemple). A cette occasion, le patient peut donc faire état en officine de désagréments que le médecin n’aura pas eu l’occasion de relever, comme une trop grande abondance de médicaments ou de prises journalières. C’est en ce sens que les pharmaciens facilitent l’action médicale. « Les médecins y voient l’intérêt que les patients y voient », considère Philippe Gaertner.
Rappeler les objectifs aux médecins
Les praticiens doivent bien évidemment être informés de la démarche entreprise par les officinaux. Dans le courrier de présentation qui leur est adressé, Julien Gravoulet, pharmacien titulaire et élu FSPF, estime qu’il faut rappeler la nature conventionnelle de l’activité, c’est-à-dire mise en place à l’initiative de l’Assurance maladie et qu’elle recouvre quatre objectifs : réduire le risque iatrogène, répondre aux interrogations des patients sur leurs traitements et leurs effets, aider les patients dans l’appropriation et l’adhésion à leurs traitements, optimiser les prises de médicaments.
Des messages en décalé
Dans le courrier préalable, il est indiqué qu’à l’issue de l’analyse des traitements par le pharmacien, un retour sera effectué au médecin, par messagerie sécurisée, par fax ou par courrier. « Il faut privilégier les échanges asynchrones », estime François Pélissier, médecin généraliste. Philippe Gaertner considère également que la messagerie sécurisée est plus appropriée, car elle permet de ne pas déranger un médecin exerçant seul dans son cabinet.
Retours positifs
Julien Gravoulet demande explicitement un retour du médecin après la transmission par l’officine de l’analyse des traitements, seconde phase après le recueil des informations auprès du patient. L’officinal propose de « recueillir l’avis et la décision médicale à l’occasion par exemple d’un entretien téléphonique ». L’officinal juge bon d’ajouter dans ce courrier au médecin que « toutes les propositions d’optimisation thérapeutiques n’auront à aucun moment été expressément proposées au patient : la décision de les accepter ou de les refuser vous appartient entièrement ». Dans l’officine de Boofzheim (Bas-Rhin) où elle est adjointe et où une cinquantaine de bilans complets ont été réalisés, Alexandra Gaertner n’a reçu aucun retour de médecin après l’envoi du courrier de présentation. En revanche, les retours positifs de médecins, et notamment de cardiologues, ont été nombreux lorsqu’il était rappelé au patient d’emporter avec lui lors de la consultation son bilan de médication.
D’après la formation de l’Utip « Patients âgés et bilans partagés de médication. Pourquoi ? Comment ? », proposée lors du Congrès national des pharmaciens de Strasbourg.
Matthieu Vandendriessche, docteur en pharmacie, conseil en gérontologie