Dans son édition d’octobre 2017, le mensuel 60 Millions de consommateurs livre les résultats d’une étude sur la consommation médicamenteuse des personnes âgées de 65 ans et plus. Le constat, non contestable, est déjà bien connu. Mais doit être interprété avec quelques nuances.
L’enquête présentée jeudi 21 septembre par 60 Millions de consommateurs a été menée par OpenHealth pendant 3 mois (de septembre et novembre 2016) sur près de 155 000 patients polymédiqués (prenant au moins 7 médicaments) âgés de 65 ans et plus. Elle montre que la population sélectionnée consomme en moyenne plus de 14 spécialités pharmaceutiques différentes, prescrites en moyenne par au moins trois médecins différents. Et que 89 % des patients étaient confrontés à au moins 3 situations conduisant à un risque iatrogène. En moyenne, ils étaient exposés à plus de 5 situations à risque (selon les fiches de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé et les règles Stopp-Start).
La revue de consommateurs lance légitimement un cri d’alarme sur cette situation qui occasionne, selon l’Assurance maladie plus de 130 000 hospitalisations et 7 500 décès par an. Sans ôter le caractère critique de ce constat, il faut lui apporter quelques nuances.
La mesure est réalisée sur les médicaments dispensés en pharmacie. Cela ne correspond pas en réalité aux médicaments qui sont effectivement absorbés par les patients. Même si l’observance est relativement bonne parmi la population âgée, nombreux sont les patients qui, face au volume de prise, « font le tri » et, étant capables d’identifier la fonction de chacun, choisissent de leur propre initiative de ne pas prendre certains médicaments. Le chiffre annoncé pourrait donc être surévalué. A contrario, la non observance pourrait générer une sous-évaluation liée au non renouvellement au fil des mois de leurs traitements par les patients. Le volume de prescription serait donc supérieur au volume de dispensation à l’officine, lui-même supérieur au volume administré. A noter qu’un autre facteur de sous-évaluation intervient dans l’enquête : les produits d’automédication délivrés hors ordonnance et les médicaments topiques n’ont pas été pris en compte.
Le nombre important de médicaments, repris en gros titre dans les médias, conditionne le risque iatrogène, mais ne constitue pas en soi la problématique. Qui dit pathologies multiples dit médicaments multiples et dit aussi risque iatrogène accentué. Mais c’est moins le nombre de médicaments que la pertinence de leur prescription qui est en cause.
L’idée persiste selon laquelle les médecins prescriraient de nombreux médicaments inutiles. Or seulement 5 % des médicaments dispensés dans cette étude ont été déremboursés suite à un service médical rendu jugé insuffisant. Ces médicaments sont d’ailleurs achetés dans 60 % des cas hors prescription médicale. Les médicaments à SMR faible (remboursement à 15 %) représentent 6 % des dispensations, avec un taux moyen de prescription de 95 %.
Le constat ne doit pas donner le sentiment de l’inertie, même s’il appelle des changements de comportement de la part des professionnels de santé. Certains, déjà engagés, doivent être poursuivis : déprescription médicale sur incitation de l’Assurance maladie, consultation du dossier pharmaceutique du patient en officine et par certaines catégories de médecins… D’autres dispositifs qui interviendront dans les prochains mois doivent porter rapidement leurs fruits : bilans de médication des personnes âgées en pharmacie de ville, revalorisation des consultations complexes nécessitant de plus de temps de la part du médecin…
Matthieu Vandendriessche, docteur en pharmacie, journaliste