Une personne âgée qui se plaint de mal dormir, c’est courant et c’est somme toute assez normal. En avançant dans l’âge, on met plus de temps pour s’endormir, on dort moins longtemps pendant la nuit, on se réveille plus fréquemment et on mémorise davantage les phases de réveil entre cycles de sommeil, d’où l’impression de mal dormir.
Des origines diverses
Au comptoir, face à une situation persistante, il faut inciter à la consultation, afin de distinguer ce qui relève d’une simple plainte et véritablement d’un trouble du sommeil ou insomnie. « Cette dernière peut avoir pour origine de l’anxiété ou une dépression, de l’apnée du sommeil, une maladie neurodégénérative, et donc être pris en charge par un médecin », pointe Sylvie Bonin-Guillaume, professeur en gériatrie à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (Bouches-du-Rhône). Certains traitements peuvent également être en cause dans l’insomnie : corticothérapie, antiparkinsoniens, certains bétabloquants…
Un médicament réservé aux seniors
A l’officine, les patients demandent une solution immédiate ou sont orientés par leur médecin, qui n’optera pas systématiquement pour des benzodiazépines et apparentés. Il pourra envisager une prescription de mélatonine, afin de favoriser l’endormissement. En France, la spécialité Circadin est disponible depuis une dizaine d’années au dosage de 2 mg de mélatonine. C’est la dose thérapeutique qui a ainsi été retenue par l’Agence du médicament. Peut-elle être utilisée chez les seniors ? Oui, justement, elle est indiquée dans le traitement de l’insomnie primaire chez les patients de 55 ans et plus. La spécialité inscrite sur liste II se présente sous forme de comprimés à libération prolongée. A prendre à raison de un comprimé le soir après le dîner, soit une à deux heures avant le coucher.
Un effet bénéfique relatif
La mélatonine à 2 mg par prise constitue un traitement à court terme, soit en général 3 semaines.
Pour la Haute Autorité de santé, ce médicament présente une efficience modeste sur la qualité du sommeil et sur le comportement au réveil. Le service médical rendu de Circadin est considéré comme faible. La revue Prescrire estime pour sa part en novembre 2018 que la mélatonine n’est pas plus efficace qu’un placebo à court terme. Pour certains cliniciens, comme le Dr Bruno Claustrat, biologiste des hôpitaux civils de Lyon (Rhône), la molécule produit un effet soporifique en prise unique mais devient un placebo les jours suivants (Le Moniteur des pharmacies, édition du 30 avril 2017). Selon lui, Circadin présente un effet bénéfique chez un patient pour trois, sans que l’on soit capable de l’expliquer. Concrètement, il est inutile de poursuivre le traitement au-delà de 3 jours si aucun effet ne se fait sentir.
Pas anodine la mélatonine
La mélatonine ne présente ni somnolence, ni accoutumance, ni effet rebond à l’arrêt, contrairement aux benzodiazépines et apparentés. Elle est généralement bien tolérée, même si les déclarations d’effets indésirables (90 entre 2009 et 2017 sur la base des compléments alimentaires) font ressortir des troubles cutanés, symptômes dépressifs, céphalées, cauchemars, tremblements, nausées, troubles du rythme cardiaque… Son usage est déconseillé chez l’enfant et la femme enceinte et le serait chez la personne âgée en cas de pathologies auto-immunes ou inflammatoires. La mélatonine entre notamment en interaction avec les quinolones, la fluvoxamine, la warfarine. Ils ont des indications proches mais le zolpidem et le zopiclone ne doivent pas être administrés en même temps que la mélatonine, car métabolisés par le même cytochrome 1A2.
Le pharmacien d’officine y veille, qui peut délivrer des compléments alimentaires à base de mélatonine. Mais ces précautions ne sont sûrement pas prises pour les achats de compléments alimentaires dans les autres circuits de distribution tels que la GMS, la parapharmacie, les magasins spécialisés et sites de vente en ligne. Au total, il se vend près de 1,5 million de compléments alimentaires contenant de la mélatonine par an en France. Fort heureusement, le patient âgé a davantage tendance à effectuer ce type d’achat en officine et à se conformer aux recommandations de son pharmacien. Il peut notamment aborder ce sujet des difficultés d’endormissement lors de son bilan partagé de médication.
Imbroglio réglementaire
Un certain nombre de compléments alimentaires sont proposés en officine, associant ou non des plantes sédatives. La mélatonine est à libération immédiate et à prendre juste avant de s’aliter. Le dosage des compléments alimentaires est inférieur à 2 mg par prise, le plus souvent de 1 mg. On peut aujourd’hui considérer que la mélatonine dosée à moins de 2 mg relève également de la liste II des substances vénéneuses, c’est-à-dire qu’elle ne peut théoriquement être délivrée sans ordonnance. C’est l’une des interprétations qui peuvent être faites de l’annulation en 2017 d’un décret de 2015 fixant la dose d’exonération à 1 mg. Elle n’est pas suivie d’effets en pratique. Pour lever le flou réglementaire, la dose d’exonération pourrait être prochainement portée à 2 mg par le ministère de la Santé. Dans l’attente, la prudence est requise, la vente s’effectue sous la responsabilité de l’officine en tenant compte des éléments de conseil pharmaceutique évoqués précédemment.
Retrouvez le sujet du traitement de l’insomnie chez les patients âgés dans l’émission Le Mag des pharmaciens le jeudi 24 janvier 2019 sur Pharmaradio.
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Matthieu Vandendriessche, docteur en pharmacie, conseil en gérontologie